Présentation du film par Hugo Clémot
Les histoires d’amour finissent mal en général. Et font mal. Et si l’on pouvait aimer sans risquer d’avoir mal ? Dans l’Épître d’Héloïse à Abélard (1717) que cite Kirsten Dunst dans le film Eternal Sunshine of the Spotless Mind (M. Gondry, 2004), Alexander Pope décrit le regret d’Héloïse d’avoir perdu à jamais, avec sa virginité, la tranquillité d’esprit des vestales irréprochables qui, « oubliant le monde et par le monde oubliées », avaient la chance de jouir encore de « l’éclat éternel de l’esprit immaculé ». Pour aborder le thème populaire de la douleur de la rupture amoureuse, Michel Gondry et Charlie Kaufman ont justement imaginé qu’une entreprise, Lacuna, Inc., offre à ses clients, Joel Barish (Jim Carrey) et Clementine Kruczynski (Kate Winslet), d’effacer leurs souvenirs douloureux et donc de nettoyer leur esprit de façon qu’il retrouve la pureté, la liberté et la propreté de celui d’un bébé. Plusieurs fois primé, le film — oscarisé pour son scénario — a suscité un fort engouement, au point qu’un livre collectif lui fut consacré par des philosophes anglo-saxons. Instruit de ces lectures cinéphilosophiques, l’exposé viserait à montrer que le film nous apprend qu’il y a pourtant un risque à vouloir ainsi échapper au nécessaire travail de deuil qui suit la perte d’une relation aimée et que ce risque est analogue à celui qu’encourent ceux qui entendent se passer de philosophie pour résoudre les problèmes philosophiques. En effet, l’une des idées géniales du film est d’avoir trouvé un moyen de rendre une quête autobiographique et philosophique de soi aussi passionnante qu’une course-poursuite, en personnifiant, à l’aide du souvenir que Joel a de Clementine, la résistance douloureuse qu’offre l’esprit en deuil à l’idée que l’objet de son attachement est perdu pour toujours. Autrement dit, Gondry et Kaufman ont trouvé un moyen de nous passionner pour un film qui est un enregistrement du travail de deuil et par là du travail philosophique.
Podcast
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Hugo Clémot
Hugo Clémot est agrégé de philosophie et docteur (sa thèse s’intitule : Qu’est-ce que le cinématographe ? Nouvelles approches philosophiques d’une question séculaire). Spécialiste de philosophie analytique du cinéma, il est notamment l’auteur de Les jeux philosophiques de la trilogie Matrix (Vrin, 2011), La philosophie d’après le cinéma. Une lecture de La Projection du Monde de Stanley Cavell (P.U.R., 2014) et il a dirigé l’ouvrage Enseigner la philosophie avec le cinéma.